en résidence du 24 octobre au 1er novembre et du 23 au 28 novembre 2020
Terre! Un projet Culture et Santé en partenariat avec l’Ehpad du Mont, Aubusson, Octobre 2020
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Notre projet était d’aborder le toucher avec de la terre colorée et de réunir petits et anciens. Nous souhaitions partager, ensemble, un moment sensible, en laissant libre cours à l’imaginaire, aux souvenirs, à la sensorialité, mêlant le jeu avec la terre, à la musique, la danse, la poésie, les marionnettes.
Nous projetions aussi un temps de formation pour les professionnels de l’Ehpad, désireuses de partager et transmettre un peu de notre travail.
En Octobre 2020, les conditions sanitaires empêchent une grande partie du projet (formation du personnel différée à cause de la surcharge de travail, rencontre entre petits et anciens interdite, toucher encadré par des protocoles stricts). Nous choisissons de nous adapter et d’y aller tout de même. Nous sommes portées par le désir de rencontrer les résidents, alors que nous entrons à nouveau dans une période de restriction des relations et de l’accès à la culture.
Il nous est possible d’aller au plus près des personnes âgées, au sein de leur lieu de vie (Ehpad) et de l’Unité de Soins Longue Durée. Nous sommes guidées et accompagnées par David Brebion, animateur. David porte et défend ce projet au sein de son établissement depuis notre première venue en juillet 2019.
Nous entrons donc dans l’hôpital avec une petite carriole en bois remplie de marionnettes, d’herbes sèches, d’argile colorée, de poèmes, de chansons, d’une guitare et d’un accordéon. Dès la sortie de l’ascenseur, un des résidents que nous reconnaissons, Robert, nous accueille en souriant : « Oh la charrette ! Il manque l’âne ! Allez yop yop! ».
Nous visitons certaines personnes dans leur chambre et proposons également des temps en tout petits groupes dans un des espaces communs où nous plantons une forêt.
Au rythme de la musique, à l’odeur des herbes, aux sons des poèmes, germent des souvenirs, des gestes retrouvés… Louis, qui connait toutes les paroles des chansons : « Ah, j’en ai fait des ouvertures de bal! Et quand j’entendais Loulou Loulou!, je savais c’que ça voulait dire, il fallait que je monte sur l’estrade ! », Lucienne, en respirant le thym : « Ça pousse dans la montagne, à côté des bruyères ça », ou encore Andrée, qui se met à nous laver les mains comme si elle l’avait toujours fait, avec des gestes doux et assurés.
Des mouvements naissent, les attitudes changent, le regard ne décroche pas, l’envie de jouer, de rire, de danser se réveille clairement.
Marie-Louise, qui entend très peu, s’empare du livre L’araignée et la rose de Marcelle Delpastre et lit à haute voix le poème intitulé Nous vivrons : « C’est bien ?… C’est beau… ». Joseph met ses doigts dans l’argile et colore ses mains et celles d’Emilie avec avidité. L’espace s’ouvre et nous découvrons les talents et possibilités de chacun.
Le rêve est tout près, comme chez les enfants, comme Louis qui regarde en transparence un pétale de monnaie du Pape : « On y voit la graine… », comme Bernadette qui pointe du doigt chaque vol d’étourneaux : « Les oiseaux ! »
La présence de la marionnette est forte, un dialogue s’installe spontanément avec cet autre qui permet le jeu. Ce tiers, à qui l’on ose parler, rend au jeu toute son importance, son utilité : Raymonde, connue pour son ton un peu militaire d’habitude, s’adresse doucement à Pilou : “Tu vois…, allongée comme ça toute la journée sans rien faire…”, Madeleine, en jouant avec Pilou, manipulé à ce moment par David : “Pourquoi tu me tends la main comme ça et tu ne t’approches pas … à g’noux!” Rires…puis, découvrant que la marionnette n’est pas vêtue et prenant un air coquin : “ Il est trop petit pour moi, j’pourrais rien en faire !” Fou rire.
Les silhouettes des marionnettes font aussi écho aux corps et aux images et sensations qui s’y rattachent. Suzanne : « Elle est mignonne cette poupée… elle a un peu les jambes en boudin… Comment s ’appelle – t ’elle ? » ; Nicole : « Elle n’a qu’un bras, où est son autre main ? Ah, elle est là ! » sourire radieux sur son visage ; ou encore Andrée : « Le nez, la bouche, les yeux, où sont ses oreilles ? Elles sont longues ses jambes… c’est lourd et ça fait pas toujours c’qu’on veut… » ; il y a aussi les mots de Madeleine, allongée dans son lit : « Ah lui il est beau… Il a les jambes un peu maigrichonnes. Combien il a d’orteils ?”. Les jambes de la marionnette qui portent, dansent, déplacent, suscitent une attention particulière. Elles offrent un décalage qui permet les commentaires sur ses propres jambes et évoquent les mouvements qu’on ne peut plus faire.
Et l’équipe alors ? Les regards furtifs ou appuyés sur nos propositions, les blagues lancées au passage, la participation au jeu, à la volée, l’intérêt dévoilé pour la musique : nous avons rencontrés certains des soignants, là où ils sont : dans l’enchainement des soins à réaliser en un temps donné, comme séparés, à côté de « l’animation ». Il nous semble essentiel d’aller vers eux aussi, de partager, de trouver cet endroit où nous pouvons nous réunir et nous animer ensemble, pour et avec les résidents, au sein du lieu de vie que doit être l’Ehpad.
Nous espérons fortement pouvoir le faire à notre prochaine visite.