En résidence du lundi 14 au jeudi 24 novembre 2022
Biographie :
Né en Martinique, j’ai grandi sur une île aussi belle que brisée. La société martiniquaise s’est construite dans la souffrance, l’inégalité, et la déshumanisation individuelle et collective. C’est un territoire où la question de l’identité est très présente et complexe à la fois au niveau individuelle qu’au niveau sociétal ou culturel. Je suis l’enfant d’un père béké, issu d’une famille bourgeoise, 6ème et dernier enfant en troisième noce et d’une mère antillaise, issue d’une famille modeste, 2ème et dernier enfant en première noce. J’ai eu une enfance dans un cadre privilégié, dans une famille à la fois très classique et particulière. Classique, ancrée dans les codes de la bourgeoisie, catholique traditionaliste très pratiquante. Particulière par le métissage béké antillais dans une société où le colorisme et le principe des castes est très ancré.
Mon grand-père paternel faisait de la de vidéo amateur, il filmait des évènements familiaux, publics ou des moments importants (ex. une inondation survenue dans les années 60) tout comme son fils, mon père, qui de plus à sa retraite a commencé à filmer des mariages et des évènements privés pour le compte de clients. Il m’a offert ma première caméra à l’âge de 8 ans et je l’aidais à la réalisation et au montage de ses vidéos amatrices puis professionnelles, tout en créant mes propres réalisations. À l’adolescence, je me suis éloigné de toute forme de créativité, j’ai suivi un cursus classique, afin d’entrer dans la norme. Après un Bac scientifique, et un an a ne pas savoir que faire de mon avenir, j’ai finalement suivi des études de création publicitaire à l’École Supérieur de Publicité à Paris où j’ai obtenu un Bachelor en Direction Artistique Publicitaire et reconnecté avec ma créativité. Suite au décès de mon père en 2014, j’ai pris une année sabbatique afin d’explorer des domaines que j’avais ignoré pendant 10 ans, la musique, la photographie et la réalisation vidéo.
À mon retour en Martinique en 2015, j’ai commencé à prendre conscience de mon intérêt pour l’art, les arts visuels et surtout l’audiovisuel. J’ai co-fondé l’Association pour l’Amour des Arts puis la Maison d’Artistes Un Oeuf dans le but de promouvoir les Arts en Martinique. A travers cette structure, j’ai pu exploré et développer ma pratique. En parallèle, j’ai proposé mes services en tant que graphiste et réalisateur sur des projets artistiques et commerciaux. Jusqu’en 2019, j’ai travaillé avec les membres de l’association à développer, mettre en valeur et valoriser l’art dans la ville de Fort-de-France, cette même année j’ai créé mon entreprise de production audiovisuelle et de design graphique.
Projet de recherche :
« C’était le silence complet sous le ciel nocturne. Même le vent était tombé. J’ai parlé doucement, juste un murmure, mais je savais que tous m’entendaient. »
Les âmes vagabondes – Stephanie Meyer
Le silence est complice de l’ignorance, de la solitude, de la peur, de la violence. Le bruit amène la vie, qu’il soit un cri, un chant, un bruissement, un chuchotement, un murmure. Donner la parole, permettre l’expression, redonner vie à des personnes dont la quête s’est faite dans le silence, la peur, l’ignorance. La quête du soi, du moi, de son identité, pour soi et vers soi est un cheminement intérieur vers l’extérieur. Nous cherchons tous à exprimer qui nous sommes et nous avons tous besoin de nous dire aux autres. Murmure(s) est un documentaire de création dont le but est de rendre audible les témoignages de personnes de Martinique sur leur quête de leur identité de genre. Les notions de transidentité sont très peu abordées aux Antilles, pour bon nombre de personnes il s’agit de non-sujets, de « problèmes de blancs » ou encore… du diable. Je n’ai pris que récemment conscience du fait que j’étais concerné et lorsque j’ai essayé d’en parler autour de moi j’ai découvert à la fois de l’ignorance et du rejet, puis du désintérêt. Malgré certaines personnes ouvertes, compréhensives, qui ont accepté, ce sont les réactions négatives qui ont pris le plus de place. Au départ, je suis évidement allé vers les personnes de mon entourage les plus ouvertes d’esprit, celles qui étaient les plus susceptibles d’avoir une réaction positive et j’ai été déçu et surpris de voir à quel point certaines réactions pouvaient être égoïstes, insidieusement violentes et négatives. Et c’est là que quelqu’un m’a dit : « Ça n’existe pas ici; on n’a pas ce genre de problèmes ici ». Cela m’a fait un choc, j’ai réalisé à quel point le problème était vaste. À quel point les personnes qui n’étaient pas cisgenres étaient seul.es. À quel point j’étais seul. J’ai d’abord décidé de prouver que je n’étais pas seul avec un petit questionnaire (cf. annexe1). Puis, au travers de mon propre cheminement, mes propres recherches, j’ai constaté que même si les personnes trans existent en Martinique, la société ne leur laisse pas de place. Tout ce qui est différent est caché, tout ce qui sort de la norme est rejeté. Des modèles et des « castes » sont bien définis sur le territoire et ce qui sort du cadre doit être corrigé ou caché. J’ai décidé d’en faire un documentaire en mettant en valeur les parcours de personnes trans en Martinique. Mais pas que. Normaliser nos existences. Montrer qu’il n’y a rien à corriger ou à cacher. Créer une place dans la société pour nos identités.
COULEURS
L’anthracite est une couleur graphique, contemporaine, dérivée du gris. Elle renvoie à une élégante neutralité, quelque part entre le noir et le blanc, associée à une once de cyan. Elle marque par sa différence; elle invite au regard lorsque qu’on ose trancher. L’idée ici est d’opposer le sentiment que renvoie la couleur avec le parcours de la quête du soi qui est souvent mouvementé, bouleversant, amer. Élégante et raffinée, cette couleur va permettre de mettre en valeur, les couleurs, les identités qu’elles soient classiques ou plus vives, de révéler les personnalités. Depuis des générations, en occident, le blanc est lié à l’unité, l’équilibre, la pureté, la virginité, la perfection, le divin,… tous ces mots sont rarement utilisés par la société pour qualifier les personnes blanc n’est pas une couleur à proprement parler. Il est la synthèse chromatique de toutes les couleurs,. On ne trouve que très peu de blancs « naturels » dans la nature. Il représente parfaitement le fait que si toutes les couleurs du monde s’associent elles forment un équilibre parfait, « divin », qui amène à la plénitude.
CADRAGE / DÉCORS
Intimité et puissance, Intimité parce qu’il s’agit ici d’expériences de vies, de l’intime, de son rapport au corps, de son rapport au soi, du regard que l’on porte sur nous, de nos ressentis. Les plans rapprochés permettront d’ancrer les personnages, en mettant l’accent sur ce qu’il disent, sur leur corps et leur gestuelle. Le gros plan montrera la moindre expression, permettra de dévoiler les sentiments, les émotions pour favoriser l’identification du spectateur, lui permettre de rentrer dans les pensées intimes du personnage. Le beau, le laid. Le valide, l’invalide. Le normal, l’anormal. Les corps sont jugés, analysés, contrôlés. Ils doivent rentrer dans une case et s’y contraindre ce qui donnera d’eux leur valeur. Or, tous les corps, ont de la valeur. L’esthétique des corps se révèle à travers le regard qu’on leur porte. C’est dans les détails d’une peau, d’une cicatrice, d’un poil, d’un grain de beauté, d’une courbe, d’un bourrelet… que se cachent l’histoire, l’âme, l’émotion, le sentiment du corps. La lumière cache ou révèle les choses. Entre l’ombre et la lumière, le visible et l’invisible, le noir et le blanc. Il y a toi. Il y a moi. Il y a nous. Les stéréotypes d’apparences nous formatent et nous imposent de s’approprier ou de rejeter les corps, nous imposent une classification des corps à travers une vison d’ensemble. C’est en se rapprochant, en rentrant dans les détails et en utilisant la lumière et les contrastes que la frontière entre normal et anormal s’efface. Que le laid, le mutilé, le monstrueux, le différent, devient le beau, le préservé, le convenable, le normal.
J’ai commencé un travail de recherche photographique sur l’esthétique des corps « perficio » sur des corps de femmes nus. Perficio vient du latin, de facio (« faire ») avec le préfixe per- (« on peut aller plus loin en passant au-dessus, par dessous, de côté, etc., ») et qui signifie « Parfaire, perfectionner ». J’ai exploré cette thématique au travers de la photographie. ( https://www.carotland.com/perf ). Au tout départ, je me suis intéressé au corps des femmes « mutilé » par les chirurgies liées au cancer du sein. De la est venue une question : Quels regards portent-elles sur leur propre féminité suite à l’ablation totale ou partielle de cet « attribut féminin » ? De là j’ai commencé à poser la question de mon propre rapport à la féminité et la question du genre est apparu là. Perficio a accompagné cette évolution de mon propre cheminement créatif vers Murmure(s).
Plus d’informations :
Résidence soutenue par le ministère des outre-mer et le ministère de la culture