Faire danser l’eau – Alexis Choplain – lycée agricole d’Ahun
Ce projet est soutenu par la Direction régionale des Affaires culturelles et de la Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt.
Faire danser l’eau est un projet expérimental destiné à réactiver une fontaine hors service dans l’espace rural. Elle est située dans le jardin de La Métive, ancien moulin et lieu de résidence internationale au Moutier d’Ahun dans la Creuse. L’artiste, dont la pratique s’articule principalement autour de l’eau et de l’électronique y a déjà réalisé un projet intitulé -Tempête dans un verre d’eau- durant une résidence de création entre avril et Juin 2019 soutenue par une action du contrat de filière arts plastiques et visuels Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Rurart (Rouillé) et le Lieu Multiple (Poitiers). Séduit par ce territoire et la dynamique locale, l’artiste souhaite s’y installer pour poursuivre ses recherches et développer ses activités artistiques, toujours autour de l’eau mais en y incluant une dimension patrimoniale.
Il expérimente depuis plusieurs années des formes hybrides d’installations qui tendent à s’adapter à différents contextes, et devient alors le concepteur d’un dispositif électronique et hydraulique sur mesure qui alimentent ses travaux de plus en plus in-situ. En accord avec la philosophie des plateformes d’échanges en ligne à partir desquels il trouve les bases techniques de ses projets, l’expérience acquise l’oriente désormais vers des problématiques de transmission, notamment en établissant un partenariat avec deux classes du lycée agricole d’Ahun. Cette transmission a pour ambition première de mettre en relief un processus de création basé sur l’expérimentation, et instaurer un terrain de jeu où l’art rencontre la science dans une dimension low-tech, sous un angle intuitif. L’objectif de ce projet est donc dans un premier temps de décloisonner ces domaines à priori éloignés en établissant entre eux des connections par l’observation et un sensible guidé par une démarche ludique. Initialement, le projet abordera des réflexions autour de notre rapport aux objets courants pour poser les bases d’une philosophie de travail et adopter une position critique face à l’objet électrique usuel : Car l’objet technique, qu’il soit domestique ou non s’est considérablement complexifié ces dernières décennies : le rapport humain/objet se transforme, notamment en raison de l’incorporation d’interfaces virtuelles dans le quotidien qui viennent aider, soutenir et même prendre des décisions de façon autonome face à l’utilisateur. Il est alors paradoxal de constater qu’à l’égard de ces objets qui altèrent radicalement nos modes de vie, nous conservions à un désintérêt constant et qui tend même à s’agrandir. En phase d’abstraction, le rapport que nous entretenons avec les machines est de nature excessivement pratique sans que jamais ne soit mis en avant l’au-delà de la fonction : l’aspirateur par exemple, répond au besoin de nettoyage et ne suscite alors aucune considération pour son mode d’action primaire.
Pourtant, et c’est bien là un des objectifs de ce projet, il y a dans le contexte actuel nécessité de se questionner quant à l’action primaire de la machine, “souffler à l’envers”, dans le cas de notre aspirateur, et montrer par une approche sensible qu’il y a déjà en cela quelque chose de remarquable. Ces réflexions, qui ont été alimentées par la lecture du livre -Du mode d’existence des objets techniques- du philosophe Gilbert Simondon a permis à l’artiste de mettre en place la méthode de travail qu’il souhaite instauré : partir de l’observation macroscopique d’un objet, appréhender son mode d’action via des expérimentations pour entrer progressivement dans ce qui le définit techniquement et se focaliser sur son action concrète : démonter son boîtier, observer ses organes internes, les extraire puis les démanteler à leur tour pour parvenir aux particules élémentaires constituant la machine, les composants électroniques. Cette méthode qui a pour avantage de fonctionner par changements d’échelles successifs permet d’appréhender l’ensemble des savoirs nécessaires à la conception de ses propres systèmes par le biais de la découverte, sans bases techniques, d’un univers trop peu considéré.
L’artiste a d’ores et déjà établi un partenariat avec La Dynamo, ressourcerie et association de défense de l’environnement de Chambon-sur-Voueize pour organiser des rencontres avec le personnel en charge de la remise en état du matériel électroménager : des visites seront organisées afin de sensibiliser les participants aux notions d’obsolescence programmée et aux manières de la court-circuiter. Cela permettra aussi de récupérer du matériel à moindre coût pour les expérimentations. Il sera aussi présenter des outils numériques aux Ateliers de la Mine de Lavaveix les Mines, tel que l’imprimante 3D, et l’atelier de Cyril More, tourneur sur bois au Moutier d’Ahun qui concevra des pièces sur mesure pour le système hydraulique de la fontaine. Le tour a bois étant en quelque sorte l’ancêtre de l’imprimante 3D, il semble intéressant de donner un aperçu de l’évolution de cette technique commune, qui pour l’une consiste à soustraire de la matière, et l’autre à additionner pour des résultats apparentés. l’ESAT accueillera l’artiste et les étudiants et ouvrira son atelier de métallurgie pour construire une structure en échange d’ateliers avec le personnel de l’ESAT . La Métive
quant à elle mettra à disposition l’atelier dans lequel l’artiste a travaillé pour sa résidence. Ce lieu, qui encourage l’échange entre les artistes résidents sera également l’occasion pour les étudiants de découvrir différentes pratiques artistiques par la rencontre et la discussion. Ces partenariats sont essentiels au projet, car ils expriment toute la démarche de l’artiste, à savoir l’autonomie, et un système D déployé au travers d’un réseau local alternatif fonctionnant sur le principe de partage, de rencontre et d’économie de moyen.
La première phase du projet met à disposition un bestiaire d’objets usuels à démonter, casser, reconstruire et même à mélanger entre eux. À la manière d’archéologues, les participants et l’artiste seront amenés à chercher et à comparer les innovations apportées aux appareils d’une même famille conçus à des époques distinctes pour pouvoir discuter, par exemple, de la débauche de moyens nécessaires à la création de nouveaux besoins bien souvent annexes. Cela entre en résonance avec le travail de l’artiste Nicolas Maigret et plus particulièrement le projet Disnovation.org, étudiant entre autres les déclinaisons multiples des objets quotidiens au travers d’une étude sur par exemple, les téléphones portables chinois arborant des fonctionnalités triviales, comme l’option taser, briquet…dont il présente les typologies sous forme de collection pour ses expositions. Ils seront par la suite amenés à changer d’échelle pour atteindre le microscopique de la science électronique.
Dans un premier temps initiés à la recherche de systèmes simples sur les plateformes open source, ils s’habitueront au mode de fonctionnement de cette communauté de plus en plus présente et importante sur le net. Des ateliers seront donnés par l’artiste de manière à ce que les participants puissent acquérir les bases nécessaires à la réalisation de circuits destinés à activer la fontaine. Avec les connaissances acquises, Faire danser l’eau proposera si possible un service de réparations d’objets et de solutions techniques originales répondant aux besoins des habitants, comme par exemple la conception de dispositifs d’abreuvoir autonomes pour les poulaillers ainsi qu’un système automatique d’ouverture et de fermeture des portes (ce projet est déjà en phase de conception pour le poulailler de La Métive). En accord avec la philosophie d’échange des plateformes sur lesquels ils auront récupéré les schémas électroniques, Faire danser l’eau mettra en place un blog qui servira à rediffuser l’ensemble des améliorations et déclinaisons apportées aux circuits initialement libres de droits.
La démarche de l’artiste consiste à faire danser l’eau sous des influences sonores et lumineuses. Cette idée, développée depuis 5 ans a pris différentes directions, mais a surtout à l’insu de l’artiste, évolué en suivant cette méthode de changement d’échelle progressif : Sa première réalisation, Uninvisible a d’abord été exposée au Festival international d’art sonore Citysonic à Mons, Capitale européenne de la culture en 2015 lorsqu’il était encore étudiant. Intrigué par ce phénomène de chorégraphie aquatique, il a dans un premier temps proposé une installation à taille humaine qui nécessitait du matériel technique relativement puissant acheté dans le commerce.
Il est par la suite entré dans un processus expérimental en construisant cette même installation en miniature afin de pouvoir mieux appréhender ce phénomène visuel. Il entre à ce moment là en contact avec les plateformes de libre échange pour concevoir la machine de A à Z ( structure-haut parleur-synthétiseuramplificateur- stroboscope-pompe hydraulique) et accède alors à la science de l’électronique et commence à entrevoir que l’idée peut surgir de la technique. Le champs des possibles qui s’est offert à lui l’a alors conduit vers des déclinaisons du projet, sous formes de petites maquettes animées révélant divers phénomènes physiques toujours en lien avec le son et la lumière. Il est ensuite devenu essentiel de rentrer encore plus profondément dans le fonctionnement interne et s’est alors intéressé à l’électricité, ses comportements et ses applications. ( électromagnétisme, thermoélectricité…). ces recherches ont abouties aux projets Uninvisible Lab, puis Uninvisible Lab#2 (2016-2017) qui aujourd’hui ont fusionnés.
Son travail actuel consiste à envisager le courant comme la donnée fondamentale de tous ses travaux, et tente de faire du lien entre ses différentes machines par un dialogue généré par un chaos électronique. Cela donne forme à un ensemble de machines interconnectées capable de réaliser une performance autonome, sans qu’il n’y ait besoin d’intervention humaine ni d’un quelconque support numérique venant simuler un hasard finalement prépondérant. Cette volonté de donner vie à la machine par l’interférence, le “bug” et donc la précarité a donné une nouvelle forme à l’installation, montrant des dispositifs électroniques dilaté à l’extrême dans l’espace, dont l’ensemble des branchements et connections sont volontairement laissés visibles. Cette démarche, qui s’inscrit dans un « Do It Yourself » exacerbé est parallèlement bornée par la contrainte et le manque de compétences techniques : La pseudo science qu’il exploite donne forme au projet, révélant le processus de création, c’est à dire les ratés, les essais parfois concluants, les schémas électroniques annotés…dans le but d’extraire avec dérision l’univers du laboratoire de sa dimension trop rigoureuse. Entre cette machine qui menace de s’effondrer à chaque instant et le spectateur, il y a l’eau, substance universelle et nécessaire à la vie qui joue le rôle d’activateur sensoriel. Ondulant lors de sa chute sous des influences vibratoire et lumineuses, elle devient le témoin visuel de fluctuations électriques hasardeuses. Derrière ce phénomène physique se dissimule la volonté de décoller le visiteur de son état quotidien en modifiant ses perceptions : elle le place dans un état de conscience altérée qui lui ouvre la voie vers des sensations nouvelles. À la manière des oeuvres cybernétiques de Nicolas Schöffer, l’installation est avant tout conçue pour stimuler. Le travail de cet artiste, qui induit chez le visiteur des états psycho-physiologiques à travers la programmation du temps – notamment le chronodynamisme – a dans un sens, une portée thérapeutique. C’est cet état, à la limite de l’hypnose qui est recherché. Donnant en effet l’impression d’être suspendu dans l’espace, l’eau met au défi les lois de la gravité, adopte des comportements intangibles comme par exemple des changements soudains de directions. Elle permet d’accéder visuellement au phénomène électrique et ses contradictions, omniprésent et immatériel, comme le ferait un instrument de mesure scientifique qui augmenterait les perceptions. Cette étude sur l’instabilité l’a par la suite amené à concevoir une chute d’eau verticale à haute pression de deux mètres, fonctionnant sur le même principe, exposée au Frac de Marseille
dans le cadre de l’exposition Un Autre Monde /// Dans Notre Monde en 2019. C’est sur cette base d’allers retours entre le très petit et le très grand que la fontaine du jardin de la Métive sera réactivée avec les étudiants.